

La maison Guischard de la Menardière, dite « Maison romane » est située dans la 34-36 rue Saint-Michel, il subsiste des doutes sur ses origines et sa datation. Certaines parties remonteraient aux XIIe-XIIIe siècles mais la grande part de la construction serait des XIVe et XVe siècles. Elle sera remaniée aux siècles suivants à divers endroits. Sa façade rythmée par des arcades a été superbement préservée. Au XVIIIe, la maison est occupée par la famille GUISCHARD, qui donne son nom actuel à la maison. Il y a encore des zones d’ombres au sujet de la fonction première de cette construction. On pense qu’il s’agissait peut être de l’hôpital de Pontorson. L’église étant toute proche, cela n’aurait rien d’étonnant mais cela reste de l’ordre de la supposition.
Cette habitation a été morcelée en 1851 en deux logements : le n°34, et le n°36, qui représente la plus grande partie. Un comble en ardoises, fort aigu, avec rampants de granit, apporte la marque des XVe et XVIe siècles. Les élégantes souches de cheminées datent du XVIIIe siècle.
Quand il n’y avait qu’une unique et même demeure, il existait un escalier monumental que l’on pouvait gravir à cheval. Sous Louis-Philippe, l’intrigante façade fut dissimulée en totalité derrière des plâtres badigeonnés à la chaux et des imitations de granit.
Avant 1851, selon un témoin, la galerie était divisée en échoppes. Un maréchal-ferrant travaillait dans l’une de celles-ci.
De 1851 jusqu’en 1925, à l’époque où ces faux décors furent étés, nul ne pouvait soupçonner la colonnade ou la galerie. Le tout avait été recouvert d’une fausse façade qui en supprimait les reliefs.
Du jardin, on peut apercevoir une inscription sur le linteau de la porte, elle date du temps où il y avait une seule et grande maison, il s’agit de l’inscription de la famille GUISCHARD en 1719. La façade de l’hôtel est celle d’une très plaisante habitation du XVIIIe siècle, gaie, largement percée de belles fenêtres. Ces dernières, ornées de balcons en fer forgé, sont de style Régence.
La famille GUISCHARD était très importante à Pontorson. L’un de ses membres fut compté parmi les grands esprits scientifiques du XVIe siècle. La réputation de la famille dépassa les imites du royaume. Ses membres se marièrent avec ceux des autres grandes familles nobles de la région.
À l’intérieur, il y a encore de belles boiseries inspirées de Versailles. En plus d’une copieuse et fort belle mouluration. Il complète noblement un ensemble digne à tout égard d’être classé, et en fort bon lieu, parmi les monuments historiques.
Étude archéologique sur l’Hôtel Guischard de la Ménardière d’Émile BARBÉ
Cette belle demeure a subi bien des vicissitudes depuis 1851, époque où elle fut morcelée. Elle est actuellement, pour la partie nord, la propriété de notre confère, M. BANNIER, notaire ; et pour la partie sud, celle de M. THÉAUT, gens de goût l’un et l’autre, qui s’appliquent avec le zèle le plus éclairé et le plus louable à faire disparaître les mutilations de la période antérieure. Sous Louis-Philippe, en effet, la si intéressante façade qui vient d’être remise au jour fut dissimulée toute entière derrière des plâtras badigeonnés à la chaux et des appareillages de faux granit. Tous les membres de l’architecture disparurent ainsi sous cette honteuse livrée, chère aux bourgeois d’alors, pour ne réapparaître que l’an passé. Notre confère, M. LERIVEREND, architecte à Pontorson, chargé des travaux de déblaiement et de restauration par M. BANNIER, les a conduits avec le même succès et la même sûreté que ceux de la sacristie de l’église paroissiale – qui sont son oeuvre.
Dans sa forme actuelle, l’hôtel, qui regarde l’ouest, se présente ainsi sur la Rue Saint-Michel : un avant-corps central de 19m92 de long ; deux ailes en retrait, parallèles à lui, et à lui reliées par des constructions en retour d’équerre. L’aile nord se développe sur 7m35 ; l’aile sud, sur 4m80 seulement. Le tout domine la voie publique de plusieurs marches. L’avant-corps est séparé de celle-ci par un large contre-mur, élevé de 0m63 au-dessus de la bordure du trottoir, et couvert de bahuts plats en granit.
Ce contre-mur, qui est frappé d’alignement ainsi qu’une grande partie de l’avant-corps, a été construit en 1840, à la suite de l’abaissement du niveau de la rue par la municipalité d’alors ; il a pour but de parer aux dangers de l’affouillement, devant les fondations de l’immeuble.
Prise dans son ensemble, la façade se compose d’un rez-de-chaussée surélevé comme il vient d’être dit ; d’un premier étage ; et d’un comble en ardoises fort aigu, avec rampant de granit. Ce dernier accuse les XVe-XVIe siècles. Le tout est couronné d’élégantes souches de cheminées, du XVIIIe siècle.
Le saillant de l’avant-corps est constitué, au rez-de-chaussée, par une robuste colonnade en granit appartenant au style roman primitif. À ses deux extrémités, cette colonnade d’appuie sur des massifs d’angle et, au moyen d’un retour d’équerre à chaque bout, elle va retrouver les ailes. Le retour nord se développe suivant une longueur de 2m45, et le retour sud, suivant une autre de 2m66. Sur les colonnes viennent tomber des cintres, composés de deux archivoltes plates, en granit appareillé. Elles ont la hauteur ordinaire des assises de pierre de taille, et ne comportent aucune ornementation ; toutefois, l’archivolte inférieure s’amortit par un chanfrein. Aujourd’hui, tout cet ensemble constitue, à l’intérieur, un galerie. – Dans les retours, les cintres se réduisent actuellement à une demi-arcade ayant été, au XVIIIe siècle, coupé à la hauteur de la clef de voûte par un mur parallèle à la rue. – L’archivolte supérieure, dans ces mêmes retours, est en moellons de schiste debout, posés en délit pour former voussoirs.
Depuis 1851 jusqu’à 1924, époque où les plâtras furent jetés bas, de la voie publique on ne pouvait soupçonner ni la colonnade ni la galerie, le tout ayant été revêtu d’une fausse façade supprimant les reliefs, et dans laquelle on avait pratiqué des fenêtres insignifiantes. Seule la porte d’entrée conservait l’apparence cintrée.
Avant 1851, il résulte du témoignage de M. JACQUET dit BUISSON, mort à 95 ans l’an dernier, et de celui de M. Hippolyte BOUFFARÉ, l’un des anciens propriétaires, décédé en 1875, que la galerie était divisée en échoppes, où se trouvait, notamment, un maréchal ferrant.
Les travaux effectués lors du morcellement de la propriété firent disparaître les locataires de la galerie, laquelle fut aménagée dès lors, pour les besoins des propriétaires, en pièces longues formant boyaux.
Telle est encore aujourd’hui la situation ; mais, l’aspect extérieur est totalement changé. Cintres et colonnes, délivrés de la gaîne où ils étaient ensevelis depuis tantôt 80 ans, ont revu la lumière. Au lieu d’empâter, comme ci-devant, les membres de l’architecture dans des masses aveugles, on les a rendus tous apparents, grâce à un rideau très mince de maçonnerie qui, édifié discrètement sous les arcs, réunit entre elles, et parallèlement à l’axe de la rue, les colonnes. Dans leurs intervalles, on a percé de nouvelles portes et fenêtres ; non toutefois sans choisir et avec le plus grand soin, tant les pierres d’encadrement que les moellons qui, tous, présentent la même tonalité que les matériaux anciens du fronstipice.
Cet avant-corps du rez-de-chaussée, sans analogue dans la région, appelle un sérieux examen. Nous commencerons par les retours, qui se composent chacun, avons-nous dit, d’un demi-arcade seulement et font, dans l’architecture, partie intégrale du motif central.
Brusquement interrompus par les deux ailes qui sont, l’une et l’autre, du XVIIIe siècle, les retours s’étendaient certainement jadis vers l’est ; mais, tout ce prolongement ayant été, – comme nous l’avons remarqué plus haut, – supprimé par des constructions élevées sur l’arrière, il en résulte que nous sommes sans renseignements sur le plan général de l’édifice roman.
Les demi-arcades des retours ont leurs retombées du côté de la rue. – Ces retombées sont recueillies, au moyen de cintres appareillés, sur des chapiteaux de colonnes engagées dans ces massifs d’angle, dont nous avons parlé déjà.
D’autres colonnes engagées, remplissant pareille fonction, existent dans ces mêmes massifs, perpendiculairement aux retours ; et elles reçoivent, suivant l’axe de la façade, les pressions ainsi transmises par des cintres.
Ceci-dit – et pour mettre de l’ordre dans nos remarques, nous allons, partant du massif angulaire nord, remonter la rue Saint-Michel et, ce faisant, nous rencontrerons successivement des travées de 2m51, 2m36 et 2m38.
Parvenus à l’extrémité du dernier entrecolonnement, et après avoir laissé derrière nous deux colonnes isolées, nous trouvons un massif, flanqué de deux demi-colonnes engagées, l’une regardant le nord, et l’autre le sud. – Pourquoi ce massif ? – Simplement pour donner de la force à tout le système, dont il occupe le point médian – ou pour servir de départ à une colonnade perpendiculaire vers l’est ?
Après examen de l’appareillage sur sa face interne, M. LERIVERAND et moi adoptons la première hypothèse.
Reprenant notre marche, nous rencontrons encore deux colonnes isolées, puis la demi-colonne engagée dans le massif d’angle. – Cette fois, les intervalles sont respectivement de 2m82, 2m27 et 2m51.
Naturellement, les doubles-cintres en granit qui viennent s’amortir sur les chapiteaux d’une ordonnance aussi irrégulière, ne peuvent qu’être établis à la demande. N’ayant pas la même portée, les courbures de leurs arcs sont différentes ; se rapprochant, autant que possible, du plein-cintre.
Voici les principales données :
- Hauteur approximative sous clef : 2m70 ;
- Hauteur moyenne des bases (qui sont de modèles différents, tantôt hexagonales, tantôt carrées, avec chanfrein abattu ou non) : 0m31 ;
- Hauteur moyenne des chapiteau (comprenant celle du tailloir 0m06 à 0m07 et de l’astragale 0m05) : 0m40 ;
- Hauteur du fût (monolithe, sauf dans les massifs) : 1m13 ;
- Diamètre du fût (très variable), environ : 0m42.
Ces chapiteaux, qui sont de dessin uniforme, d’allure très archaïque, et dont j’ai retrouvé plusieurs exemplaires abandonnés à Pontorson en divers endroits, sont tous constitués par des troncs de pyramide renversés, venant s’amortir inférieurement sur un cylindre, au-dessus de l’astragale.
C’est, comme on le voit, le couronnement le plus simple que puisse recevoir une colonne. Dans la partie supérieure des fûts de la colonnade, on voit des entailles qui ont été certainement pratiquées pour recevoir une forte pièce de bois horizontale, parallèle à l’axe de la rue. Il s’agit ici de mutilations évidents. Ces entailles n’existent ni dans les retours ni dans le 4e encolonnement (celui au sud de la porte de M. BANNIER).
L’ensemble de cette ordonnance produit une impression monumentale très grande et donne le sentiment de la force, sans exclure, loin de là, celui de l’homogénéité, en dépit des discordances de détail énumérées ci-dessus. La patine admirable que prend le granit rouge au soleil couchant est ici particulièrement marquée, et suggère involontairement une comparaison avec l’ensemble voisin de l’Hôtel de Ville et des Halles, où l’œil est affligé par les tons ingrats du granit dit « bleu ». Malheureusement pour ces architectures, suivant la formule officielle, la comparaison glisse fatalement des couleurs aux constructions elles-mêmes en tant qu’œuvres d’art, et si, dans celles du XIIe siècle, la vigueur, la pittoresque, la franchise du travail et sa belle allure rendent la barbarie sympathique, on ne peut nier qu’au contraire l’oeuvre de notre civilisation contemporaine ne fasse penser aux redoutables cartons verts de l’Administration et de Bâtiments Civils d’où, chaque année, tant d’ennui se répand insidieusement sur la Métropole et les infortunées Colonies, sous forme de « monuments ». « Tous les genres sont bons hors le genre ennuyeux », disait Voltaire.
Cette libre appréciation des édifices bâtis désormais par la collectivité ne m’aveugle aucunement, je l’ai montré plus d’une fois, sur les défauts des architectures primitives ; mais les monuments ont cela de bon, qu’ils racontent à qui sait la lire l’histoire de leurs bâtisseurs. – Le vers célèbre où Virgile encourage Tome à régenter le monde n’a pas de plus éloquents commentaires que les ruines semées par l’Empire sur l’Univers alors connu ; mais ces augustes débris ne disent pas que la splendeur des Césars ; ils témoignent encore et surtout de leur puissance centralisée, et de leur autorité sur les individus comme sur les peuples.
Tout au contraire, dans le Royaume où, vers le haut Moyen-Âge, chaque province eut sa technique contributive particulière ; où aucune puissance, pour haute qu’elle ait été, n’a jamais pu contraindre à observer les détails d’un plan, où tel ouvrier dresse une arcade d’une largeur, pendant que son camarade donne à l’arcade d’à côté une portée différente, alors que le maître ès-œuvres reste impuissant ; en ce pays-là, dis-je, j’entends bien affirmer théoriquement le Pouvoir absolu ; mais je dis qu’aucun souverain d’alors n’étant capable de se faire obéir de son maçon, il m’est impossible d’imaginer serfs et vassaux se pliant aux caprices du maître. – (Je me permets d’indiquer que ceci, dans ma pensée, ne constitue pas une digression : par cette raison que, d’après moi, l’archéologie n’est pas chose morte, mais fait bloc avec la sociologie et l’histoire).
Nous avons maintenant à nous demander quelle a pu originairement être la destination de nos arcatures, si caractéristiques d’aspect ?
Leur date n’est pas douteuse ; elles remontent au commencement du XIIe siècle. Peut-on voir en elles un immeuble civil ou commercial ? Certainement non ; on chercherait vainement, en cet ordre d’idées, une seule analogie dans toute la France. Les habitations romanes des particuliers ou des boutiquiers qui ont laissé quelques traces sont infimes comme taille et ne peuvent entrer en parallèle avec notre construction. Aucune boutique sous porche n’eut jamais, dans notre région et à cette époque, plus de 4 à 5 mètres d’ouverture. Force est donc de voir ailleurs.
Tout d’abord, une remarque s’impose : il ne s’agit pas ici d’un cloître entouré de bâtiments comme celui du Mont-Saint-Michel, comme le patio de la maison mauresque d’Alger ou l’atrium de la demeure antique, mais d’une vaste galerie extérieure à un édifice : telles, les arcades de la Rue de Rivoli. Ce type fut fréquent à partir du XVIIe siècle (Paris, Place Royale ; Rennes, caserne Saint-Georges, ancienne abbaye). Mais, tout au moins au XIIe siècle dans notre contrée, ce même type est introuvable.
Quoi qu’il en soit, j’ai vu au nord de Paris, et peut-être même à Senlis, des arcades analogues aux nôtres, contemporaines des nôtres, et qu’on attribuait sur la place à d’anciens hôpitaux. Cette rencontre m’a rappelé que la fondation de l’hôpital de Pontorson (v. Desroches) était du 3 février 1115, c’est-à-dire exactement de l’époque à laquelle remonte notre construction, qui est d’un technique très analogue à celle des parties primitives de l’Abbaye-Blanche à Mortain. Or, l’Abbaye-Blanche est de 1105 (Gallia Christania, T. XI; p. 554).
Ne faudrait-il pas reconnaître dans les vestiges romans de la Rue Saint-Michel l’hôpital originaire de Pontorson qui, depuis, aurait été transporté sur la rive gauche du Couesnon, là où nous le voyons aujourd’hui ?
Non seulement les remarques ci-dessus rendraient très vraisemblable cette attribution ; mais DESROCHES et autres nous ayant donné l’analyse des grandes fondations, etc… faite à Pontorson durant le Moyen-Âge, l’hôpital est la seule qui pourrait légitimer des construction analogues à celles que nous considérons, et dont le site primitif soit incertain.
Examinons maintenant le premier étage, tel que nous l’apercevons de la voie publique. À la différence du rez-de-chaussée, l’avant-corps, à cette hauteur, n’est plus bâti en pierres d’appareil, mais simplement en moellons. Seuls, les angles de l’édifice, les parements des couvertures et un large bandeau sous les sablières, sont en granit taillé. – Trois vastes fenêtres percent la façade sur la rue ; les ouvrants sont du XVIIIe siècle. – Mais l’état ancien fut tout autre. En effet, les couvertures et les appuis des baies, – et je parle ici, non seulement de celles de la façade, mais encore des deux baies ouvertes dans les retours, – por ent trace, en leur milieu, de l’arrivé d’un meneau : et transversalement, on aperçoit, dans chaque fenêtre, le point d’insertion d’un autre meneau horizontal, qui formait croisillon.
Il n’y donc aucun doute : tout l’étage, si on veut lui restituer son aspect ancien, doit recevoir des croix de granit, comme les fenestrages des XIVe-XVe siècles.
Nous serons brefs sur l’étage des combles. – Deux lucarnes d’ardoise s’y trouvent sur l’aplomb des fenêtres du côté BANNIER ; la lucarne correspondante manque du côté THÉAUT.
Le rampant de pierre tangent au toit accusant, par son profil, le XVe siècle ; et la pente de la couverture elle-même indiquant aussi cette époque, – si on veut rendre à l’hôtel sa physionomie complète, il serait indispensable de construire ici trois lucarnes de granit dans le style de ce temps-là ; et, pour les faire régner avec les fenêtres de l’étage inférieur, de les recouper par des croisillons de pierre.
Rien à dire des deux ailes, sinon que ce sont des constructions ordinaires du XVIIIe siècle. À la suite de l’aile Nord se trouvent divers bâtiments sans caractères spécial, mais au delà de ceux-ci les deux piliers de granit (XVIIIe siècle) de l’ancien portail existent toujours. Deux autres, symétriques, existaient du côté Sud ; ils ont disparu dans le cours du XIXe siècle.
Entrons maintenant dans la cour d’honneur qui séparait l’hôtel du jardin. On y accédait par les deux portails ci-dessus et, pour se représenter, il faut, par la pensée, supposer détruits tous les bâtiments faisant obstacle à ce qu’un carrosse entré par un des portails sortit par l’autre.
La cour d’honneur était partagée d’avec les parterres au moyen de magnifiques balustres en granit, dont quelques-uns ont été récemment transportés dans le bosquet de la Rue des Bordeaux.
La façade de l’hôtel, sur la cour d’honneur, est celle d’une très plaisante habitation du XVIIIe siècle, gaie, largement percée de belles fenêtres, ces dernières ornées de balcons en fer forgé, légers et du meilleur style Régence. Voici en effet l’inscription qui se lit à la muraille sur une plaque de granit : Ft B : P. FRs GUISCHARD DE LA MENARDIERE 1719.
Le blanc de l’inscription correspond à plusieurs caractères effacés ; et comme, au-dessus, une pierre porte un écusson gratté, on ne calomniera personne en conjecturant que les lettres supprimées, énonçaient un titre nobiliaire et que toutes ces mutilations sont de l’époque où dans l’église, sise à deux pas de là, le marteau révolutionnaire décapitait toutes les statues de l’autel Saint-Jean.
Quel était l’état ancien des intérieurs ? Je vois d’instinct la porte d’entrée dans l’entrecolonnement après celui où elle est aujourd’hui ; plus au sud, dans cette trouée en effet, la barre horizontale formant obstacle au va et vient n’a pas laissé de traces.
Il est certain d’ailleurs que l’escalier actuel de M. BANNIER, son vestibule et sa cuisine formaient, par leur réunion, la cage de l’escalier monumental détruit, « où on pouvait monter à cheval », m’a dit l’ancienne propriétaire Mme BOUFFARÉ.
Les marches de cet escalier, d’après le témoignage d’un des menuisiers de ce temps-là, ont servi à faire un nouveau parquet pour la grande salle à manger dont l’ancien était pourri. Cette première pièce qui se trouve sur le jardin, au nord de l’ancienne cage d’escalier, a ses fenêtres à l’Est et communique par une porte à l’Ouest avec le boyau (galerie) dont nous avons parlé plus haut et qui était la salle à manger ordinaire de la famille BOUFFARÉ.
Il est d’ailleurs probable que, de la Régence à la Révolution, ce boyau et celui à la suite vers le Sud servaient de corridors, et ce tant au premier qu’au rez-de-chaussée : ces passages étaient d’ailleurs trop court pour atteindre les pièces des ailes.
En tous cas, le magnifique salon qui fait suite, vers le nord, à la grande salle à manger, pour cette raison, n’a jamais pu être accédé qu’à travers celle-ci. – À la différence de cette salle à manger, dont les boiseries Empire sont un peu quelconques, le grand salon, percé de quatre fenêtres symétriques : deux sur jardin et deux sur rue, est tout entier recouvert de magnifiques panneaux de sculpture sur chêne, que leur travail attribue bien à l’époque donnée par l’inscription. – Ils sont dans le meilleur état de conservation et peints : le fond en bleu-vert très pale ; l’ornementation en blanc.
De quelle époque est cette peinture ? Mme BOUFFARÉ me l’avait dit il y a très longtemps. N’ayant que des souvenirs vagues, et les indices actuels n’étant pas probants, je préfère ne pas me prononcer. Mais que le salon ait été autrefois en bois naturel ou, au contraire, que ses peintures soient anciennes peu importe, l’effet est excellent, et le travail si délicat des menuiseries se trouve d’ores et déjà mis en pleine valeur avec les couleurs pâlies et vieillottes qui les revêtent.
Nous sommes d’ailleurs ici en présence de boiseries inspirées de Versailles et fouillées par un maître du ciseau. En sus d’une copieuse et fort belle mouluration, les motifs décoratifs se réfèrent à la danse et à la musique, dont ils reproduisent les attributs.
Il est fâcheux que la cheminée soit d’un style Empire plutôt vulgaire et que le parquet soit également moderne et sans valeur. Au premier étage, la chambre d’honneur, qui est au-dessus de la salle à manger, et la suivante superposée au salon, ont de très belles boiseries de l’époque ; mais les panneaux de la chambre d’honneur, opposés aux fenêtres, ont été éloignés du mur Ouest et rapprochés du jardin pour permettre de desservir la seconde pièce sans traverser la première.
La côté THÉAUT de l’immeuble a conservé, lui aussi, dans la plupart de ses parties des boiseries de l’époque. Il complète noblement un ensemble digne à tous égards d’être classé, et en fort bon lieu, parmi les monuments historiques.
Pontorson le 6 septembre 1925, Émile BARBÉ, Ancien Conseiller des Cours d’Appel Coloniales.

Voir les informations recueillies par Olivier Lisein sur Guischard de la Ménardière .